dimanche 12 janvier 2014

Santé mentale : moins de rapports, un meilleur parcours et un financement innovant...

"Une personne sur quatre est susceptible de développer au cours de sa vie un trouble en santé mentale" : telle est la première phrase du rapport d'information sur la santé mentale et l'avenir de la psychiatrie, rédigé par la commission des affaires sociales de l'assemblée nationale, remis à Marisol Touraine le 8 janvier 2014 par son rapporteur, le député Denys Robillard.

Même si la mission chargée de rédiger ce rapport déplore (page 8) l'absence de données "précises et exhaustives", deux choses sont sûres : le nombre de patients pris en charge dans les filières psychiatriques augmente régulièrement et les psychiatres sont en nombre insuffisant pour répondre à la demande croissante en soins spécialisés.


 

Ce rapport comprend 30 propositions, dont la plupart ne sont pas originales compte-tenu du nombre des rapports précédents (voir en page 21 l'analyse synthétique des 15 rapports publiés entre 2000 et 2009). Non sans humour, l'ultime proposition de ce dernier rapport en date... est d'arrêter de produire des rapports, et d'agir ! Un façon claire et nette de dire que les leviers d'action sont déjà connus, le commanditaire appréciera la brute vérité (page 95, proposition n°30 bis : diminuer le nombre de rapports et donner la priorité à la mise en œuvre des recommandations récurrentes).

Ce rapport place le médecin psychiatre au centre du parcours de soins et pointe la nécessité de soutenir son action. Deux pistes principales sont avancées :
  1. Renforcer la place des infirmiers (en rétablissant au passage la formation initiale d'infirmier spécialisé en psychiatrie) et des psychologues dans la prise en charge des patients, dans une double optique : diminuer les délais d'attente (notamment en centre médico-psychologique) et optimiser la qualité de la prise en charge. Réelle innovation : ce rapport brise le tabou d'une prise en charge par l'assurance maladie des consultations réalisées par les psychologues cliniciens, "véritables professionnels qui accomplissent aujourd’hui un travail dans les institutions pour lequel ils ne sont pas nécessairement reconnus, puisqu’ils le font parfois par délégation. Nous avons donc posé la question, peut-être une des plus polémiques, de la prise en charge par l’assurance maladie des psychothérapies qu’ils dispensent. Si nous voulons un développement du secteur ambulatoire et sortir du « tout hôpital », la question devra être posée. Il conviendra d’évaluer les coûts supplémentaires mais aussi les économies rendues possibles. Il m’a donc semblé que, sur la ré-articulation des professionnels, un assez large consensus pouvait aussi s’établir" (voir annexe en page 113 du rapport).
  2. Multiplier les lieux de consultations des médecins spécialistes, en amont et en aval de la filière psychiatrique, c'est à dire au sein des maisons de santé, où sont pratiqués les soins primaires, et au sein des établissements médico-sociaux, notamment d'hébergement pour personnes âgées dépendantes. A titre d'exemple : "dans le domaine de la dépression, ce travail en commun est important car il n’y aurait que 20 % de chance que la pathologie soit traitée de façon optimale si le généraliste seul la prend en charge. Ce taux passerait à 80 % lorsqu’un binôme médecin généraliste et psychiatre traite le patient" (page 60). Aussi intéressante soit-elle, cette piste semble malgré tout contradictoire avec le constat de faible ressource médicale. Le développement de la télé-expertise (demande à distance par un professionnel de santé d’un deuxième avis médical, dans le cadre de la télémédecine) semble plus approprié mais ce rapport n'y fait même pas allusion...
La prise en charge de la maladie mentale doit devenir une réelle priorité sanitaire et politique, au risque de ne plus être capable d'assurer les soins courants dans une dizaine d'année. Dans cette optique, ce rapport pose aussi la question essentielle des moyens financiers et de leur utilisation, en critiquant l'inadéquation des modèles actuels de tarification, mais, malheureusement, en s'avouant incapable d'orienter les décideurs : "votre Rapporteur, s’il est convaincu de la nécessité d’une évolution, n’a cependant pas pu approfondir suffisamment ses investigations pour établir une recommandation" (page 84, chapitre "un nouveau modèle de financement")...

jeudi 9 janvier 2014

Iatrogénie paradoxale : inquiétude provoquée par les tranquilisants

Les benzodiazépines sont des molécules qui possèdent des propriétés anxiolytiques, hypnotiques, anticonvulsivantes et myorelaxantes ; elles ont vocation à être utilisées sur des périodes courtes, du fait de leurs nombreux effets indésirables, et donc des risques qu'elle font courir lors d'une utilisation chronique (amnésie des faits récents, troubles du comportement, sédation, dépendance physique et psychique...).




Addiction, mésusage, lien avec le développement de la démence chez la personne âgée, risques de chute, consommation élevée par rapport aux autres pays : nombreuses sont les raisons incitant à une rationalisation des prescriptions (indications, doses et durée de traitement). Le 25 septembre 2012, la Haute Autorité de Santé, la Direction Générale de la Santé (ministère de la santé) et l'Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé (ANSM) annonçaient collectivement des mesures pour lutter contre le mésusage des benzodiazépines. Cible principale : le sommeil des séniors, avec le message suivant : "retrouver un sommeil de qualité, arrêter les somnifères, c'est possible !"




Contre toute attente, le rapport récent de l'ANSM est formel : la consommation de benzodiazépines a augmenté au cours de l'année 2012 :

 
Et pourtant, le nombre de consommateurs est resté stable et certaines molécules phares (clonazépam et tétrazépam) étaient en net recul du fait de changements radicaux de leur mode de prescription et/ou de délivrance. En pratique, ce sont donc les doses et/ou les durées des traitements à visée anxiolytique et/ou hypnotique qui ont augmenté, malgré les efforts des pouvoirs publics. Mis en place au 2e semestre 2012, ces efforts n'ont peut-être pas encore eu le temps de produire leurs effets ; pour autant, l'ANSM annonce d'ors et déjà dans sa conclusion "des mesures de plus grande ampleur et plus restrictives"...

mardi 7 janvier 2014

Maladies chroniques : des parcours ou des actes ?

La prise en charge des maladies chroniques nécessite, le plus souvent, l’intervention de nombreux professionnels, de statut et d’exercice différents, qui contribuent au parcours de soins du patient. Disparités des modes de rémunération, pénurie dans certaines spécialités, freins aux partages de données entre professionnels, insuffisance de coordination : de nombreux facteurs concourent à rendre ces parcours complexes…

Pour s’attaquer au problème, la loi de financement de la sécurité sociale pour l’année 2014 répond par l’expérimentation régionale :
  1. Dans le champ global des maladies chroniques (article 32) : Des expérimentations de nouveaux modes d’organisation des soins peuvent être mises en œuvre, pour une durée n’excédant pas quatre ans, dans le cadre de projets pilotes visant à optimiser les parcours de soins des patients souffrant de pathologies chroniques. Ces projets pilotes concernent soit un nombre restreint de pathologies, dont la liste est fixée par le décret en Conseil d’Etat mentionné au deuxième alinéa, soit un nombre restreint de régions dans lesquelles ils sont mis en œuvre.
  2. Dans le cas particulier de l’insuffisance rénale chronique (article 43) : Des expérimentations peuvent être menées, à compter du 1er juillet 2014 et pour une durée n’excédant pas quatre ans, dans le cadre de projets pilotes destinés à améliorer le parcours de soins et la prise en charge des personnes atteintes d’insuffisance rénale chronique et relevant de l’article L. 324-1 du code de la sécurité sociale.
  3. Pour développer la télémédecine (article 36) : Des expérimentations portant sur le déploiement de la télémédecine, définie à l’article L. 6316-1 du code de la santé publique, peuvent être menées à compter du 1er janvier 2014 pour une durée de quatre ans, dans des régions pilotes dont la liste est arrêtée par les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale. Ces expérimentations portent sur la réalisation d’actes de télémédecine pour des patients pris en charge, d’une part, en médecine de ville et, d’autre part, en structures médico-sociales.

Dans tous les cas, l’objectif est de pouvoir déroger aux règles actuelles de facturation, de tarification et de remboursement, dans l’optique d’un « financement au parcours » (maladies chroniques) et/ou en attendant la mise en œuvre d’une tarification spécifique (télémédecine).




Mais pourquoi vouloir passer d’une logique de financement « à l’acte » à celle d’un financement « au parcours » ? En principe, pour fluidifier et simplifier le parcours de soins, au bénéfice du patient. En théorie, pour optimiser la coordination (pilotage et répartition des crédits entre les acteurs). Et en pratique ? Réponse en septembre 2016, date à laquelle le parlement devra étudier un « rapport d’évaluation des projets pilotes », en vue d’une éventuelle généralisation…

dimanche 5 janvier 2014

La bonne intervention de santé, au bon moment, au bon endroit, pour le bon patient…

Telle est la façon la plus simple et la plus parlante de définir la « pertinence des soins ». A première vue, « la bonne intervention de santé, au bon moment, au bon endroit, pour le bon patient », cela sonne comme une évidence… mais est-ce vraiment si simple ? Pas forcément ; comme l’indique la Haute Autorité de Santé (HAS), analyser la pertinence d’une intervention de santé impose de mettre en balance plusieurs dimensions : l’état des connaissances scientifiques, le rapport entre les bénéfices attendus et les risques encourus, les préférences des patients et la disponibilité des ressources en santé.




Mais finalement, pourquoi s’intéresser à la pertinence des soins ? Faut-il comprendre que certains soins ne seraient pas pertinents ? Le ministère de la santé apporte un début de réponse à ces questions sur son site internet : « les études montrent des variations très fortes des taux de recours aux soins hospitaliers entre les régions et entre les territoires de santé, traduisant l’existence éventuelle de soins non pertinents et/ou de disparités d’accès aux soins ». Il existe ainsi des régions, des départements, des territoires où la population est plus souvent opérée qu’ailleurs d’une appendicite, d’un syndrome du canal carpien, d’une cataracte…

De tels écarts peuvent être liés à des différences démographiques entre territoires, mais aussi à des pratiques différentes entre les professionnels. Afin d’y voir plus clair, le ministère de la santé a fourni aux agences régionales de santé un guide méthodologique pour l’amélioration de la pertinence des soins. L’analyse statistique du taux de recours à l’hospitalisation est le point de départ d’une démarche adaptée à chaque situation régionale. Les professionnels de santé des territoires sont ainsi associés au diagnostic et peuvent contribuer à la mise en place d’actions, « l’analyse et l’amélioration de la pertinence des interventions de santé » faisant partie des méthodes de développement professionnel continu, auquel ils sont soumis depuis le début de l’année 2013.




La HAS a déjà développé un certain nombre d’outils d’amélioration de la pertinence des soins, par exemple sur le thème de l’appendicectomie, de la cholécystectomie ou encore de la chirurgie du canal carpien… A la lecture de son programme de travail 2014, la base documentaire de l’HAS va encore s’enrichir : chirurgie du rachis, hospitalisation pour infection urinaire, endoscopie digestive, arthroscopie de l’épaule, fractionnement des endoprothèses vasculaires, chirurgie du cristallin, tous ces sujets feront l’objet de nouveaux référentiels de pertinence d’ici le premier semestre 2015…

vendredi 3 janvier 2014

Simuler pour mieux soigner : l’exemple de la consultation d’annonce

La simulation en santé correspond à « l’utilisation d’un matériel, de la réalité virtuelle ou d’un patient dit standardisé pour reproduire des situations ou des environnements de soins, pour enseigner des procédures diagnostiques et thérapeutiques et permettre de répéter des processus, des situations cliniques ou des prises de décision par un professionnel de santé ou une équipe de professionnels » (source : site de la Haute Autorité de Santé).




De plus en plus utilisée en santé, la simulation n’est pas une simple formation pratique destinée à acquérir de nouvelles compétences : il s’agit plutôt de confronter des professionnels déjà compétents à des situations stressantes et/ou complexes. Scénario, séance de mise en situation, debriefing, aide à la progression : la simulation en santé s’inscrit pleinement dans le champ du développement professionnel continu, raison pour laquelle il s’agit d’une méthode reconnue par la Haute Autorité de Santé.


http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2013-01/simulation_en_sante_fiche_technique.pdf


Dans son bulletin d’information n°32, l’ordre national des médecins publie un article intitulé « Jouer pour se former » et consacré au programme « ANONS » (pour annonce en oncologie par la simulation) du Centre Hospitalier Universitaire (CHU) d’Angers. Scénarios réalistes, patients joués par des professionnels de santé membres d’une troupe de théâtre, approche biopsychosociale : tous les ingrédients sont réunis pour que les jeunes médecins (internes et chefs de cliniques) engrangent de l’expérience et de la confiance en eux. La simulation joue ainsi pleinement son rôle de levier d’amélioration de la qualité des soins, au service de la santé publique (la consultation d’annonce étant une mesure phare des différents plans cancer).

Qui plus est, l’expérience des oncologues a donné des idées aux néphrologues du même CHU, confrontés à l’annonce de la maladie rénale chronique et de ses traitements. La satisfaction des patients porteurs d’une maladie chronique étant corrélée à la qualité de l’écoute et des informations fournies, la simulation a manifestement de l’avenir…

Pour approfondir le sujet : Boet S, Granry JC, Savoldelli G. La simulation en santé. De la théorie à la pratique. Editions Springer.